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Mécanismes psychologiques du climato-scepticisme chez les leaders d’opinion et décideurs

Mécanismes psychologiques du climato-scepticisme chez les leaders d’opinion et décideurs

Le climato-scepticisme – c’est-à-dire le déni ou le doute infondé concernant le changement climatique d’origine humaine – prospère même chez certains leaders d’opinion, responsables politiques et économiques. Comprendre ce phénomène requiert d’analyser divers mécanismes de psychologie cognitive et comportementale. En effet, plusieurs biais cognitifs et facteurs psychosociaux peuvent pousser ces acteurs à minimiser la crise climatique ou à s’abstenir d’agir. Parallèlement, la dimension du climat en tant que bien public mondial engendre des comportements stratégiques de déresponsabilisation et d’attente d’autrui. Enfin, des dynamiques de mimétisme au sein de réseaux d’influence et des intérêts économiques perçus jouent un rôle clé. Cette synthèse examine successivement ces mécanismes – biais cognitifs (biais de confirmation, dissonance cognitive, effet Dunning-Kruger, etc.), identité sociale et idéologie, intérêts économiques, théories des jeux liées au bien public climatique, et logiques de coordination stratégique – afin d’expliquer pourquoi des décideurs en viennent à adopter un discours climato-sceptique. Des exemples de recherches empiriques et d’études de cas illustreront chaque point.

Biais cognitifs favorisant le climato-scepticisme

Plusieurs biais cognitifs bien connus peuvent amener des décideurs à rejeter ou minimiser les faits scientifiques sur le climat. Ces biais sont des raccourcis de pensée automatiques qui déforment la perception de la réalité, souvent pour protéger nos convictions ou intérêts. On peut citer notamment :

  • Biais de confirmation : tendance à ne chercher et croire que les informations confortant nos idées préexistantes, en ignorant les données contraires. Un leader climato-sceptique filtrera ainsi les rapports et avis scientifiques, ne retenant que ceux qui confirment son point de vue (par exemple un article affirmant que le climat a toujours changé naturellement). Ce biais renforce un cercle vicieux où toute nouvelle preuve du réchauffement est écartée ou réinterprétée pour préserver la conviction qu’« il n’y a pas de problème ». Des analyses montrent que ce biais de confirmation façonne fortement la manière dont le public perçoit les questions scientifiques controversées.
  • Dissonance cognitive : inconfort mental provoqué par des croyances contradictoires ou un écart entre les valeurs affichées et les actions réelles. Pour un décideur, admettre la gravité du changement climatique tout en continuant des pratiques polluantes (ou en constatant l’inaction générale) crée une dissonance. Il devient tentant de résoudre ce conflit en niant l’ampleur du problème climatique. Par exemple, face à l’impossibilité perçue de changer facilement de mode de vie ou de politique, certains finissent par conclure que « le climat n’est pas si urgent », atténuant ainsi leur malaise. En rejetant les faits alarmants, le leader réduit son anxiété et justifie son inertie. Des chercheurs notent que ce mécanisme de rationalisation est fréquent : lorsque l’on ne voit “aucune solution facile” à un problème angoissant, on a tendance à nier jusqu’à la réalité du problème. Ainsi, la dissonance pousse à minimiser la crise climatique pour rester en accord avec son comportement actuel.
  • Effet Dunning-Kruger (biais de surconfiance) : biais cognitifs par lequel les personnes les moins compétentes dans un domaine surestiment largement leurs connaissances. Dans le contexte climatique, certains leaders avec peu de formation scientifique se croient pourtant aussi informés que les climatologues. Ce sentiment de « savoir mieux que les experts » les amène à balayer le consensus scientifique d’un revers de main. L’effet Dunning-Kruger repose souvent sur une ignorance de son ignorance : on ne perçoit pas l’étendue de ce qu’on ignore, ce qui nourrit une confiance excessive. Par exemple, un décideur politique persuadé d’avoir “tout compris” au climat après avoir lu quelques articles biaisés pourra déclarer avec assurance que les scientifiques se trompent, alors même qu’il méconnaît des pans entiers de la climatologie. Ce biais de surconfiance a été identifié comme un obstacle silencieux qui peut expliquer l’inertie climatique dans le monde de l’entreprise et de la décision. En sous-estimant la complexité du problème, ces leaders refusent les avis des vrais experts et persistent dans le statu quo.
  • Biais de disponibilité : tendance à fonder son jugement sur les exemples facilement disponibles en mémoire, souvent des expériences récentes ou marquantes, plutôt que sur des données globales. Ainsi, un épisode de froid inhabituel ou un hiver neigeux local peut suffire à conforter un leader dans l’idée que « le réchauffement est exagéré ». Un cas célèbre est celui d’un sénateur américain brandissant une boule de neige en plein hiver au Sénat comme “preuve” que la Terre ne se réchauffe pas. En se focalisant sur un événement ponctuel (de la neige un jour donné) plutôt que sur la tendance climatique de long terme, il illustre comment le biais de disponibilité fausse la compréhension du problème. Ce biais explique que des décideurs accordent plus de poids à des fluctuations météorologiques immédiates ou à des anecdotes qu’aux statistiques climatiques sur des décennies. En conséquence, ils sous-estiment la gravité du réchauffement global si celui-ci ne se manifeste pas de manière évidente dans leur quotidien immédiat.

À noter : Ces biais ne sont pas mutuellement exclusifs et peuvent se renforcer mutuellement. Par exemple, la dissonance cognitive peut inciter à un biais de confirmation (on cherche des informations niant le problème pour apaiser son malaise), tandis que la surconfiance fait ignorer les signaux d’alarme. Tout le monde peut être en proie à de tels biais, mais chez certains leaders climato-sceptiques, ils sont particulièrement marqués ou exploités, ce qui contribue à leur posture de déni. Néanmoins, les biais cognitifs ne suffisent pas à tout expliquer – l’adhésion au climato-scepticisme tient aussi à des facteurs sociaux et motivationnels plus profonds, comme on le voit ci-dessous.

Identité sociale, idéologie et appartenance de groupe

L’identité sociale et l’idéologie personnelle jouent un rôle déterminant dans l’attitude face au climat. Les décideurs sont influencés par les valeurs et convictions de leur groupe d’appartenance (parti politique, milieu socio-économique, communauté idéologique). Adopter ou rejeter la réalité du changement climatique peut ainsi devenir un marqueur identitaire cohérent avec son camp. Des études transnationales révèlent une forte corrélation entre une idéologie conservatrice/libertarienne et le scepticisme climatique. Aux États-Unis en particulier, l’orientation politique de droite est le meilleur prédicteur du rejet de la science du climat – bien plus que le niveau d’éducation ou d’autres facteurs. Elle expliquerait près de 50% des variations d’opinion sur le climat outre-Atlantique. Autrement dit, le climato-scepticisme s’aligne souvent sur le clivage partisan : croire au consensus climatique est perçu comme une opinion “de gauche”, tandis qu’en d’autres cercles conservateurs, exprimer des doutes climatiques renforce sa crédibilité au sein du groupe. Ce phénomène s’inscrit dans ce que les psychologues appellent la cognition motivée par l’identité, où l’on évalue les faits à l’aune de ce qui conforte l’appartenance à son groupe social ou politique.

Ce lien entre identité idéologique et climato-scepticisme s’observe dans de nombreux pays, quoique avec des degrés variables. En Europe, on constate également que l’extrême droite populiste a fait du rejet (ou de la minimisation) du changement climatique un thème de plus en plus présent dans son discours. Par exemple, plusieurs partis d’extrême droite en France, en Allemagne ou en Europe de l’Est se sont mis à dénoncer les politiques climatiques, assimilant la transition écologique à un agenda “cosmopolite” ou contraignant, en phase avec leur conservatisme culturel. Ce conservatisme identitaire voit dans l’écologie une menace pour un mode de vie traditionnel ou pour la souveraineté nationale, et alimente une défiance vis-à-vis des scientifiques et institutions internationales. D’une manière générale, un décideur dont l’entourage idéologique est hostile à la cause climatique aura tendance à internaliser ces vues : non seulement par opportunisme (pour rester en adéquation avec ses électeurs ou pairs), mais aussi par conviction sincère façonnée par son milieu. Les mécanismes de pression de groupe et de biais de conformité s’appliquent ici : il est psychologiquement plus facile de penser comme son groupe que d’aller à son encontre. Cela mène à des “bubbles” informationnelles où le leader n’est exposé qu’à des arguments climato-sceptiques, renforçant sa position initiale (biais de confirmation collectif).

Enfin, la dimension identitaire s’exprime aussi via la justification du système en place. Les décideurs ayant bâti leur identité sur un système économique donné (par exemple, le libre marché ou l’industrie fossile) pourront inconsciemment rejeter la science climatique car elle implique de “changer de système”. En psychologie sociale, on parle de biais de statu quo et de défense de l’ordre établi : on minimise les faits qui remettent en cause le monde tel qu’il est. Par exemple, un dirigeant d’entreprise attaché aux valeurs du capitalisme dérégulé pourra percevoir les alertes climatiques comme exagérées ou alarmistes, car y adhérer reviendrait à légitimer des réglementations contraires à son ethos. Ici se mêlent identité personnelle et intérêts : le leader protège l’image positive de son groupe et de lui-même en refusant de voir le problème qui obligerait à une remise en question profonde.

Intérêts économiques perçus et motivations du déni

Au-delà des facteurs psychologiques, les intérêts économiques – réels ou perçus – constituent un puissant moteur du climato-scepticisme chez de nombreux leaders politiques et acteurs économiques. Lorsqu’un décideur pense que les mesures climatiques vont à l’encontre du développement économique, de la rentabilité de son entreprise ou de la prospérité de sa circonscription, il aura tendance à résister au consensus scientifique pour préserver ses intérêts à court terme. Ce phénomène peut être conscient (calcul stratégique cynique) ou inconscient (biais motivé justifiant une croyance qui arrange ses affaires).

Du côté des grandes entreprises et lobbies industriels, l’enjeu financier est souvent direct. Les industries des combustibles fossiles en offrent l’illustration la plus claire : historiquement, plusieurs compagnies pétrolières et gazières ont financé des campagnes de désinformation visant à semer le doute sur la réalité du changement climatique. Leur objectif est de protéger leurs profits et d’éviter des régulations contraignantes en décourageant l’action politique par le doute. Par exemple, des documents ont révélé que dès les années 1990, des multinationales du pétrole orchestraient un narratif climato-sceptique via des think tanks et des relais d’opinion, malgré leur connaissance interne du problème. En sponsorisant des rapports “alternatifs”, en alimentant des experts contraires ou en exagérant les incertitudes scientifiques, ces acteurs cherchent à maintenir le statu quo économique qui leur est favorable. Ce déni organisé par des intérêts puissants a un effet d’entraînement : des responsables politiques reliés à ces secteurs (par financement électoral ou par appartenance idéologique) reprennent leurs arguments, parfois de bonne foi, convaincus que protéger l’industrie locale prime sur des alertes qu’ils jugent exagérées. Ainsi, l’intérêt économique biaise la perception du risque climatique – « pourquoi sacrifier des emplois maintenant pour un problème incertain demain ? » –, une rhétorique largement encouragée par les lobbies. Notons qu’il s’agit là moins d’un biais cognitif spontané que d’une stratégie délibérée de désinformation exploitant les biais du public.

Même sans désinformation extérieure, un décideur peut motiver son scepticisme par calcul économique. De nombreux élus ou dirigeants d’entreprise estiment que les politiques climatiques coûtent trop cher, menacent la compétitivité ou la croissance, et risquent de mécontenter leur base électorale ou leurs actionnaires à court terme. Ce conflit d’intérêts perçu crée un terrain favorable au déni par intérêt. Par exemple, un ministre de l’Économie pourra minimiser l’urgence climatique s’il pense que les contraintes écologiques freineront le PIB de son pays. De même, un chef d’entreprise dont le modèle repose sur une forte empreinte carbone préférera parfois douter publiquement de la nécessité d’agir, le temps de rentabiliser ses investissements. Ce refus d’accepter les faits peut relever d’un refus de perdre un avantage acquis : la littérature parle d’effet de dotation ou de coûts irrécupérables (sunk cost fallacy) où l’on persiste dans une voie néfaste parce qu’on y a investi beaucoup. Par exemple, des acteurs ayant massivement investi dans l’exploitation de nouvelles réserves fossiles pourront nier l’urgence climatique, car y croire impliquerait d’abandonner ces investissements coûteux. Ici encore, le biais de confirmation et la rationalisation interviennent : le décideur trouve des arguments pour justifier que « ce n’est pas le bon moment d’agir » ou que « d’autres priorités priment ». On voit émerger ainsi un discours de retardement plutôt qu’un déni pur et simple : on admet éventuellement que le climat change, mais on met en avant les coûts, les incertitudes ou l’iniquité des efforts pour différer l’action. Ce discours de temporisation – souvent présenté comme du « réalisme économique » – sert en réalité de prétexte stratégique pour saper ou retarder les politiques climatiques qui menaceraient certains intérêts acquis. En somme, la défense d’intérêts économiques à court terme, qu’ils soient financiers ou électoraux, fournit une puissante incitation à nier ou minimiser la crise climatique. Elle opère soit par intérêt bien compris (maintenir ses profits, ses emplois, sa compétitivité) soit par idéologie économique (croyance que le marché libre ne doit pas être entravé, même face aux enjeux climatiques).

Le climat comme bien public universel : dilemme de l’action collective

Un aspect central du climato-scepticisme des décideurs réside dans la structure même du problème climatique en termes de bien public et de théorie des jeux. Le climat stable bénéficie à tout le monde sur la planète, et personne ne peut être exclu des “bénéfices” d’un climat préservé. En économie, on dit que la stabilité du climat est un bien public mondial non-excluable et non-rival. Chaque État, chaque entreprise, chaque communauté humaine profite d’un climat vivable, sans que cela réduise la part des autres. Cependant, les coûts de l’action climatique (réduction des émissions, transition énergétique) sont, eux, individuels et immédiats, tandis que les bénéfices sont partagés et de long terme. Il en résulte un fort incitatif à l’inaction individuelle : rationnellement, « que les autres fassent l’effort, nous en bénéficierons bien… ». Ce comportement est celui du passager clandestin (free rider), bien connu en théorie des jeux : chacun espère profiter de l’effort d’autrui sans payer le prix de l’action. À l’échelle internationale, cela se traduit par une dynamique d’attente mutuelle : chaque pays attend que les autres réduisent leurs émissions, de peur de compromettre sa propre économie pour un bénéfice global diffus. De même, au sein d’un secteur industriel, une entreprise hésitera à investir lourdement dans la décarbonation si ses concurrentes ne le font pas, afin de ne pas perdre d’avantage compétitif. Cette logique de court terme parfaitement compréhensible individuellement conduit collectivement à une tragédie des biens communs : l’addition des égoïsmes aboutit à un résultat perdant-perdant (le dérèglement climatique s’aggrave pour tous).

Ce dilemme du climat s’apparente au célèbre dilemme du prisonnier en théorie des jeux : la stratégie dominante pour chaque joueur (ne pas coopérer, ne pas réduire ses émissions unilatéralement) mène à un équilibre sous-optimal pour l’ensemble du groupe (un climat détérioré). En l’absence d’une autorité supranationale imposant à chacun de contribuer équitablement, la logique non-coopérative l’emporte souvent. Les décideurs politiques, soucieux de l’intérêt national ou local à court terme, sont pris dans ce jeu de stratégie : s’ils agissent fortement mais que d’autres pays ne suivent pas, ils craignent de “perdre” (compétitivité économique, coûts élevés pour un résultat climatique nul). Cela alimente un calcul stratégique où chacun minimise sa propre responsabilité (déresponsabilisation) et attend que les autres bougent d’abord. Par exemple, pendant des années, certains grands émetteurs (États-Unis, Chine, pays pétroliers) se sont rejeté la balle : « Pourquoi réduirions-nous drastiquement nos émissions si les autres continuent d’augmenter les leurs ? ». Ce jeu de l’attente a freiné les négociations climatiques. Un cas emblématique fut le refus des États-Unis de ratifier le Protocole de Kyoto en 2001 sous prétexte que les pays en développement n’y étaient pas astreints aux mêmes contraintes – décision qui a en grande partie fait échouer cet accord. Chaque État agit ainsi selon son intérêt immédiat perçu, ce qui mène à l’inaction collective en l’absence d’un mécanisme contraignant. Le même schéma vaut pour des entreprises : sans régulation commune, la première multinationale qui engagerait des dépenses majeures pour verdir sa production risquerait un désavantage si ses concurrentes continuent le business as usual. Toutes préfèreront alors attendre ou adopter des mesures symboliques, espérant ne pas être “le pigeon” qui agit seul pour le bien commun.

Le caractère universel du climat engendre donc une diffusion de la responsabilité : chacun se voit comme une petite part du problème global et peut justifier son inaction en pointant l’inaction des autres. Les psychologues parlent de biais d’iniquité perçue : *« pourquoi ferions-nous des efforts si d’autres n’en font pas ? »*. Ce phénomène nourrit le climato-scepticisme d’une manière subtile : il ne s’agit pas toujours de nier frontalement la science, mais de cultiver un doute opportuniste sur l’efficacité ou l’équité de l’action, servant de prétexte pour ne pas bouger. Par exemple, un leader pourra admettre que le climat change mais prétendre qu’il est “injuste” que son pays réduise fortement ses émissions alors que d’autres continuent – en insinuant parfois que, puisque ce déséquilibre persiste, la crise climatique ne doit pas être si urgente. On voit ici comment le contexte de bien public amplifie le scepticisme : le coût de l’action étant local et le bénéfice global, de fortes tentations de tricher existent dans le “jeu climatique”. Sans coordination robuste, beaucoup de leaders font donc le pari implicite que d’autres agiront à leur place (ou que la technologie future viendra résoudre le problème), ce qui leur permet de rester passifs sans culpabilité apparente. Ce pari n’est souvent pas gagné, mais il offre à court terme une justification rationnelle à l’inaction. En insistant sur les limites de la coopération internationale et la peur d’être le dindon de la farce, ces décideurs entretiennent un climato-scepticisme stratégique : ils ne nient pas toujours la science du climat, mais ils doutent de la faisabilité ou de l’intérêt d’agir unilatéralement, ce qui équivaut dans les faits à retarder l’action.

Mimétisme et coordination stratégique entre leaders climato-sceptiques

Les attitudes climato-sceptiques des leaders ne se forment pas dans le vide : elles se diffusent et se renforcent au sein de réseaux d’influence par des phénomènes de mimétisme et parfois de coordination explicite. Dans la sphère politique et médiatique, certains leaders d’opinion adoptent le climato-scepticisme en s’inspirant d’autres figures de proue qui ont du succès avec ce discours. Il existe un effet d’entraînement : lorsqu’un dirigeant charismatique ou un pays puissant défend une position sceptique, d’autres aux intérêts convergents peuvent le suivre, légitimant ainsi leurs propres doutes. Par exemple, l’arrivée au pouvoir de dirigeants ouvertement climato-négationnistes peut libérer la parole d’autres responsables qui jusque-là taisaient leurs réserves. On assiste alors à une forme de convergence rhétorique : les arguments (souvent fallacieux) circulent d’un leader à l’autre, dans un langage parfois coordonné. Des études ont montré que dans certains pays, les réseaux climato-sceptiques se sont construits en important les idées et stratégies développées ailleurs. Un exemple notable est l’émergence tardive du climato-scepticisme en Allemagne, stimulée par un think tank (EIKE) qui a servi de courroie de transmission avec les think tanks américains climato-sceptiques bien établis. Ce think tank a relié des acteurs allant de la droite néolibérale aux partis d’extrême droite allemands, et a transféré dans le débat allemand des arguments et tactiques de désinformation déjà éprouvés aux États-Unis. On observe ainsi un mimétisme des stratégies climato-sceptiques américaines dans le discours politique européen, démontrant que ces idées voyagent et s’implantent via des réseaux transnationaux coordonnés. Ce cas illustre que le climato-scepticisme n’est pas qu’une affaire d’erreurs individuelles de jugement : c’est aussi un phénomène collectif orchestré, où des groupes échangent des éléments de langage, des financements et des soutiens pour semer le doute à grande échelle.

Entre États, on peut également parler de coordination stratégique dans le blocage de l’action climatique. Par exemple, lors des conférences internationales, certains pays forment des alliances tacites pour limiter l’ambition des accords. Des producteurs de pétrole ou des économies très dépendantes du charbon se sont souvent soutenus mutuellement pour édulcorer les engagements ou faire traîner les négociations, chacun couvrant l’autre. Ce front uni permet à chaque État de prétendre qu’il n’est pas seul à freiner – diluant ainsi la pression diplomatique. On l’a vu avec des pays comme l’Arabie saoudite, la Russie ou l’Australie qui, à divers sommets, ont adopté des positions alignées pour défendre le statu quo énergétique (par exemple en s’opposant à l’abandon des énergies fossiles subventionnées). De même, dans le monde de l’entreprise, des coalitions sectorielles peuvent se former pour peser contre les politiques climatiques : par exemple d’anciennes associations industrielles ont coordonné le discours niant le lien entre CO₂ et réchauffement dans les années 1990. Cette coordination permet aux entreprises de présenter un front commun (et de créer l’illusion d’un débat scientifique) plutôt qu’une voix isolée facile à discréditer. Chaque acteur impliqué y gagne : en s’alignant stratégiquement, ils renforcent la portée de leur message de doute et se protègent mutuellement des critiques.

Le mimétisme intervient aussi par opportunisme politique : un leader peut singer le climato-scepticisme s’il constate qu’il est payant électoralement pour un autre. Par exemple, voyant la popularité d’un discours “anti-écologie punitive” chez un voisin, un responsable politique adoptera un ton semblable pour rallier l’aile conservatrice de son opinion publique. Ainsi, le climato-scepticisme se propage tel un mème politique dans certaines sphères. Ce mimétisme est facilité par la présence de narratifs simplificateurs (par exemple « la transition écologique = perte d’emplois » ou « le climat a toujours varié ») facilement repris dans les médias. Ces narratifs sont souvent le fruit d’une élaboration stratégique en coulisses, puis mis en avant de manière coordonnée par divers porte-voix. Les chercheurs décrivent ce phénomène comme une communauté épistémique parallèle : une constellation d’acteurs (experts autoproclamés, influenceurs, politiciens, think tanks) qui se renvoient mutuellement leurs publications et arguments, créant une bulle de désinformation cohérente. Une fois inséré dans ce réseau, un leader d’opinion aura accès à un répertoire d’arguments climato-sceptiques clé en main – biais de confirmation aidant, il s’y enfermera et contribuera à son tour à diffuser ces idées dans son champ d’influence.

Conclusion

Le climato-scepticisme des leaders d’opinion et décideurs ne relève donc pas d’une simple ignorance des faits, mais résulte d’un enchevêtrement de mécanismes psychologiques, sociaux et stratégiques. Les biais cognitifs (confirmation, dissonance, surconfiance, etc.) offrent un terreau individuel où le doute peut germer, surtout lorsque les réalités scientifiques menacent des convictions ou des conforts établis. L’identité sociale et idéologique vient renforcer ces biais, en faisant de la position sur le climat un symbole d’appartenance à un groupe (politique ou culturel) – on rejette alors le consensus climatique pour rester fidèle à son camp ou à sa vision du monde. À cela s’ajoutent les intérêts économiques perçus : nombreux sont les leaders pour qui admettre la pleine mesure du problème climatique semblerait en contradiction avec leurs objectifs économiques immédiats, leurs promesses électorales ou la prospérité de leur secteur – d’où une tendance à minimiser le problème ou à en retarder la prise en charge. Sur le plan collectif, le caractère de bien public universel du climat crée un redoutable dilemme de l’action collective : rationnellement, chacun a intérêt à ce que les autres agissent et à ne pas payer seul le coût de la transition, ce qui encourage l’inaction, la déresponsabilisation et les négociations à reculons entre États ou entreprises. Enfin, le mimétisme et la coordination stratégique amplifient et diffusent ces tendances : les leaders climato-sceptiques se confortent mutuellement, partagent arguments et stratégies, si bien que le mouvement de déni s’auto-entretient dans certains cercles du pouvoir.

Malgré ce tableau, il importe de souligner que des solutions existent pour dépasser ces obstacles psychologiques et structurels. La recherche en sciences cognitives et sociales suggère de contrer les biais par l’éducation et la diffusion de connaissances (pour réduire la surconfiance et le complotisme), de re-cadrer le discours climatique dans des termes compatibles avec les identités de chacun (par exemple mettre en avant les opportunités économiques de la transition pour les conservateurs), et d’instaurer des mécanismes internationaux contraignants ou incitatifs (clubs climatiques, tarification carbone partagée) afin de résoudre le dilemme du passager clandestin. Des cas d’étude positifs montrent que certains leaders ont su dépasser la pression de leur groupe ou de leurs intérêts immédiats en adoptant une vision de plus long terme, souvent à la suite de mobilisations citoyennes ou de chocs (catastrophes climatiques locales réduisant la distance psychologique du phénomène). Comprendre les mécanismes exposés dans cette analyse est un premier pas pour déjouer le climato-scepticisme : en prenant conscience des biais et des dynamiques d’inaction, les décideurs et la société peuvent espérer y remédier et ainsi aligner davantage nos actions collectives sur la réalité scientifique du défi climatique.

Mécanismes psychologiques du climato-scepticisme chez les leaders d’opinion et décideurs

Le climato-scepticisme – c’est-à-dire le déni ou le doute infondé concernant le changement climatique d’origine humaine – prospère même chez certains leaders d’opinion, responsables politiques et économiques. Comprendre ce phénomène requiert d’analyser divers mécanismes de psychologie cognitive et comportementale. En effet, plusieurs biais cognitifs et facteurs psychosociaux peuvent pousser ces acteurs à minimiser la crise climatique ou à s’abstenir d’agir. Parallèlement, la dimension du climat en tant que bien public mondial engendre des comportements stratégiques de déresponsabilisation et d’attente d’autrui. Enfin, des dynamiques de mimétisme au sein de réseaux d’influence et des intérêts économiques perçus jouent un rôle clé. Cette synthèse examine successivement ces mécanismes – biais cognitifs (biais de confirmation, dissonance cognitive, effet Dunning-Kruger, etc.), identité sociale et idéologie, intérêts économiques, théories des jeux liées au bien public climatique, et logiques de coordination stratégique – afin d’expliquer pourquoi des décideurs en viennent à adopter un discours climato-sceptique. Des exemples de recherches empiriques et d’études de cas illustreront chaque point.

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